Cocon finement – épisode 5
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Aujourd’hui, je réalise à quel point je suis privilégiée : je suis confinée à la campagne, je touche mes indemnités chômage, je n’ai pas à m’improviser maîtresse (même si ça m’aurait plu !), je peux me connecter à internet pour y regarder des messages inspirants, il y a des piles de jeux de société, des étagères remplies de livres et de dvd autour de moi, le soleil levant et les gazouillis d’oiseaux me réveillent chaque matin, mes placards sont remplis d’aliments sains et alléchants, je téléphone à mes proches les pieds dans l’herbe…ma cage est dorée et mon moral ensoleillé. Je pourrais aisément m’endormir sur mes lauriers en attendant que ça passe…
Et aussi je pense à ceux qui sont dans l’action. Je ne vous connais pas soignants, policières, caissiers. Je ne vous vois pas éducateurs, bénévoles, législateurs, et pourtant j’ai envie de vous soutenir à ma façon. J’aurai envie de me mettre au service, de me sentir au sein d’un collectif. Est-ce un élan égocentrique d’être parmi les « sauveurs » ? Le complexe de l’anonyme ? Oui j’ai très envie d’apporter ma pierre à l’édifice fragile qui se construit ces jours-ci. J’ai l’impression d’avoir été tellement individualiste jusqu’à présent. J’ai souvent critiqué la société tout en appréciant les parts du gâteau. J’ai toujours été plutôt discrète, mal à l’aise avec la politique et aujourd’hui, je ne me suis jamais sentie aussi engagée. Est-ce que c’est parce que je suis empêchée justement ? Spectatrice, il m’est arrivée de vouloir hurler pour briser un silence sacré. En lisant ne pas actionner le levier, j’ai souvent l’envie irrépressible d’essayer. Est-ce que c’est mon côté rebelle ou infantile ? La petite voix méprisante me susurre : « c’est un peu facile de vouloir aider quand on t’a dit de ne pas bouger ! »
Ce qui me manque le plus, c’est le lien : pouvoir discuter avec mon voisin sans être en apnée, l’effervescence des parcs au printemps, entendre la boulangère répéter Et avec ceci, ce s’ra tout ?. Même les gens qui parlent de la pluie et du beau temps me manquent ! Voilà ce sont nos liens entre inconnus qui semblent s’effacer et j’ai peur qu’ils deviennent invisibles et qu’il faille tout recommencer comme des enfants penauds : « dis, tu veux être mon copain ? ». Non nos liens ne disparaissent pas, ils deviennent plus subtils. Je sens qu’on s’éloigne pour mieux nous retrouver. Bientôt, je pourrai me joindre au groupe qui m’a toujours effrayé. Je remercie la vie de m’apporter une occasion de vouloir sortir de ma coquille pour participer concrètement à l’amélioration du monde. Je fais la liste de mes envies : m’inscrire à une amap, utiliser une monnaie locale, faire la causette à des retraités, distribuer des repas aux sdf, apprendre le français à un réfugié, tenir la main d’un handicapé…les opportunités ne manqueront pas. La vie est bien faite, il y en a pour tous les goûts !
Oui je me sens chanceuse voire dans le luxe en ce moment. En fait, chacun est à sa juste place. Chaque petite fourmi que nous sommes est essentielle à l’équilibre de notre monde. A vous, qui êtes à l’extérieur, j’aimerais vous accompagner, en toute humilité, depuis ma zone de confort :
je danse pour toi qui as les mains gantées et le front plissé
je chante pour toi insulté par des indisciplinés
je joue pour toi qui tousse
je ris pour toi qui pleure
je vis pour toi qui meure
je respire à pleins poumons pour toi qui suffoque
je caresse mon aimé pour apaiser ta quarantaine
et j’embrasse de tout mon cœur tous les inconnus dévoués